La chimie nécessaire

Nous allons parler dans cette section de la chimie nécessaire au développement d'un film noir et blanc. Aucune connaissance particulière n'est requise en chimie, le développement d'un film est donc ouvert à tous et se révèle être très simple. Les fabricants de consommables argentiques vendent de nombreux produits de chimies préparées de très bonne qualité. Votre seule tache consistera à savoir réaliser une dilution de ces produits qui se trouvent le plus souvent sous forme de concentrées liquides ou de poudres. Avec la lecture de ce tutoriel, vous aurez bientôt toutes les connaissances requises pour réaliser vous même des développements noir et blanc de meilleures qualités que ceux que vous pourriez avoir en faisant appel à un laboratoire.

Pour rappel, on liste de nouveau les 5 bains successifs que doit subir un film noir et blanc pour son développement :

PS : Certains bains sont considérés par quelques photographes comme étant facultatifs : le prémouillage et le bain d'arrêt. Je vous recommande cependant vivement de les appliquer. Ils vous garantissent des développements aux résultats bien moins aléatoires, et ne représentent de toute façon pas de difficulté supplémentaire.

Le prémouillage

Le prémouillage ne nécessite pas de chimie particulière. Une eau du robinet dans la plage de température 18-24°C est employée. Veillez cependant faire en sorte que la température choisie n'excède pas les 4 degrés d'écart avec la température du révélateur, afin d'éviter tout choc thermique qui pourrait endommager l'émulsion du film.

Le révélateur

Comme annoncé dans la première page de ce tutoriel, le révélateur a pour rôle de poursuivre la réduction d'ions Ag+ en atome d'argent, l'image latente issue de la prise de vue n'ayant pas assez d'ions réduits pour dévoiler une image exploitable. Le choix du révélateur et de sa préparation est un très vaste thème, sujet à de nombreuses discussions. La raison en est que chaque couple révélateur-film aura un impact particulier sur le rendu final du négatif (grain, netteté, effet compensateur...). Ce choix n'est donc pas à lésiner. Voici une liste de facteurs ayant un rôle sur le rendu finale du négatif :

Nous ne rentrerons ici pas davantage dans les détails sur les choix à réaliser. On recommandera cependant dans un premier temps, d'utiliser un révélateur classique offrant de bons compromis. Citons par exemple : l'ID11 et le LC29 de chez Ilford, ou le D-76 et l'Xtol de chez Kodak qui sont de très bons révélateurs classiques.

L'agitation de la cuve

L'agitation de la cuve lors de l'étape de la révélation a une importance capitale sur le développement. Agiter la cuve permet au révélateur au contact du film de se renouveler et ainsi d'accélérer la révélation. Plusieurs types d'agitations existent : L'agitation nulle (aussi appelée "Stand Developement" ou plus simplement "Stand Dev"), l'agitation intermittente et l'agitation continue. Nous ne détaillerons ici que l'agitation intermittente qui consiste à agiter la cuve régulièrement dans le temps selon un protocole précis. C'est la méthode la plus couramment utilisée et qui offre un bon compromis sans nécessiter de matériel particulier.

L'agitation intermittente se décline en plusieurs méthodes élaborées par les différents fabricants de chimie et de films (Fujifilm, Ilford, Kodak...). Il n'y a pas de différence notable sur les résultats de ces procédures. Nous ne décrivons donc que l'une d'entre elles, ici celle proposée par Ilford :

Exemples de combinaisons : film - révélateur

Pour mieux illustrer ces propos, donnons ici deux exemples qui reprennent des situations concrètes. Il est capital d'adopter un temps de révélation adapté en fonction du film, de son exposition, du révélateur et de sa concentration, de sa température, et bien sur du rendu final choisi. Ces deux exemples ne sont donc pas exhaustifs, mais ils présentent les principes du problème.

Premier exemple : HP5 + LC-29

Supposons que nous avons exposé un film Ilford HP5 à la sensibilité ISO 400. Ce film noir et blanc couramment employé a une sensibilité nominale de 400 ISO. Il ne sera alors pas nécessaire ni de pousser ni de retenir le développement. Les informations concernant les temps de révélations nous sont fournies par le fabricant du film sur la boite cartonnée de ses péliculles (chez Ilford). Elles se présentent sous la forme du tableau suivant, il est primordial de savoir en faire la lecture.

Température Révélateur Dilution 250 / 25 400 / 27 800 / 30 1600 / 33 3200 / 36
24°C (75°F) ILFOTEC DD-X 1+4 - 7 8 10 14:30
24°C (75°F) MICROPHEN 1+0 - 4:30 6 8 12:30
24°C (75°F) MICROPHEN 1+1 - 10 12 - -
24°C (75°F) ID-11 1+0 - 6 8:30 11 -
24°C (75°F) ID-11 1+1 - 11 13:30 - -
24°C (75°F) D-76 1+0 - 6 7 - -
24°C (75°F) D-76 1+1 - 9 11 - -
24°C (75°F) ILFOTEC HC 1+31 - 4:30 7 10:30 -
24°C (75°F) ILFOTEC LC29 1+19 - 4:30 7 10:30 -
24°C (75°F) HC 110 DII B - - 5:30 - -
24°C (75°F) ILFOSOL S 1+9 - 6:30 7:30 12:30 -
24°C (75°F) PERCEPTOL 1+0 9 - - - -
24°C (75°F) ACUFINE 1+0 - - - 5:30 -
24°C (75°F) RODINAL 1+25 - - 5:30 - -
24°C (75°F) T-MAX 1+4 - 6 7:30 8:30 10
24°C (75°F) XTOL 1+0 - 5 6 7 10
24°C (75°F) RAPID FIXER / HYPAM 1+4 2-5 mins

Les temps de développements officiels sont souvent donnés pour des températures de 20 ou 24°C. On peut néanmoins trouver les temps correspondant aux températures intermédiaires dans des bases de données collaboratives. Ici ne figure que la partie du tableau présentant les temps de révélation pour une température de 24°C, température de travail dans notre exemple. Pour le révélateur Ilford Ilfotec LC29, qui est un révélateur vendu sous forme d'un concentré liquide, le tableau ne nous présente qu'une seule dilution, la plus courante : 1+19. Cette dilution signifie donc qu'il faudra un volume du concentré de révélateur pour 19 volumes d'eau. Si vous devez préparer 600 mL de solution pour développer 2 films 135, il vous faudra donc 600 / (1+19) × 1 = 30 mL de concentré. Vous verserez donc cette quantité dans une éprouvette et ajouterez ensuite le complément nécessaire en eau pour avoir 600 mL de solution. Il n'est pas nécessaire de mélanger. Sur cette même ligne du tableau, il est écrit que vous devrez appliquer un temps de révélation de 4 minutes et 30 secondes puisque votre film a été exposé à l'ISO 400.

Évitez les conditions amenant à des temps de révélation inférieurs à 5 minutes. Pour des temps aussi courts, la révélation peut devenir non uniforme sur la surface du film. De plus, les imprécisions sur les temps d'applications du révélateur ont alors une importance relative plus grande. Préférez donc travailler avec des températures plus clémentes.

Deuxième exemple : 400-TX + Xtol

Nouvel exemple avec le couple Kodak 400-TX qui est aussi une pellicule de sensibilité ISO400 et le révélateur Xtol, lui aussi de la marque Kodak. Rappelons qu'il n'est pas indispensable d'utiliser un révélateur de la même marque que celle de la pellicule, des combinaisons de marques différentes peuvent donner d'excellents résultats. Cette fois ci, nous allons supposer que le film à été exposé à l'ISO1600. C'est donc un film sous-exposé (il a reçu 4 fois moins de lumière) qui va devoir être développé. Il va falloir en tenir compte lors du développement en poussant la révélation de manière à avoir un film de densité correcte.

Choisir de sous exposer son film n'a rien d'exceptionnel. Un tel choix peut être motivé par le besoin d'utiliser une très haute sensibilité (si l'on n'a pas de film haute sensibilité à disposition), ou plus simplement, on peut avoir un attrait pour le rendu d'une telle combinaison. Le film 400-TX (plus communément appelé Tri-X 400) offre dans ces conditions un grain marqué que l'on peut apprécier pour certaines photographies.

Le Xtol est un révélateur vendu sous forme de poudre. Il est donc nécessaire de le préparer à l'avance en le diluant dans de l'eau, en suivant les indications du fabricant. La solution préparée de Xtol est conservée à température ambiante. Supposons que la température de la pièce de stockage soit de 20°C, la solution de révélation sera à la même température pour peu qu'elle y soit entreposé depuis suffisamment longtemps. Si le thermomètre de la pièce est fiable, une mesure supplémentaire de la solution sera superflue.

Le Xtol s'utilise principalement sous deux dilutions : 0+1, ou 1+1. Dans le premier cas, la dilution est donc nulle. Il s'agit d'utiliser le révélateur sans dilution supplémentaire. Dans le deuxième cas en revanche, il faut respecter la proportion un volume de révélateur pour un volume d'eau. Dans le cas d'une dilution 0+1 (soit une dilution nulle, dite aussi "stock"), le temps fourni par le fabricant (page 6) est alors de 9¾, soit 9 minutes et 45 secondes. Le temps que l'on peut trouver sur une base de données collaborative est logiquement identique.

Le bain d'arrêt

Cinq options plus ou moins conseillées sont souvent mises en avant :

Le développement sans bain d'arrêt

La première est peu recommandable, il s'agit de ne pas employer de bain d'arrêt du tout. Le film passe alors directement du révélateur au fixateur. Cette méthode est déconseillée pour deux raisons : La première est que le temps de révélation est alors difficilement respectable. Le bain d'arrêt a pour rôle de stopper net la révélation du film. Sans ce bain, la réaction peut se poursuivre un moment dans la solution de fixage. La deuxième raison est qu'une telle méthode épuise prématurément la solution de fixage qu'il faut alors remplacer plus régulièrement.

Le simple rinçage à l'eau

La deuxième option est d'utiliser de l'eau pour rincer le négatif des restes de révélateur. Là encore, cette solution n'est pas recommandée. L'utilisation d'eau ne peut permettre une bonne précision des temps de révélation.

La dilution de vinaigre blanc

Une autre solution, celle-ci envisageable, est d'utiliser du vinaigre blanc dilué dans de l'eau. Une solution acide stoppe net l'action du révélateur qui ne peut agir qu'en pH basique. Le vinaigre blanc se trouve généralement avec une concentration de 5 à 8 % d'acide acétique. Pour un bain d'arrêt efficace, la concentration d'acide doit être de 2%. Une solution trop peu acide n'aura pas l'efficacité escomptée. À l'inverse, une solution trop acide endommagera irrémédiablement votre film. Il vous faudra donc déterminer une dilution correcte pour atteindre les 2%. Celle-ci serait par exemple de 1+3 pour du vinaigre initialement à 8%. Notons que si cette méthode se révèle être économique, écologique et facile d'accès (le vinaigre blanc se trouvant facilement), certains photographes lui préfèrent l'emploi d'acide acétique. En effet, le vinaigre blanc présente des impuretés. Il est cependant difficile d'affirmer que celles-ci présentent un quelconque risque pour les films. De nombreux photographes l'emploient depuis des années sans remarquer d'altération particulières de leurs films.

Une solution d'acide acétique (méthode recommandée)

La méthode la plus recommandée consiste à employer une solution d'acide acétique à 2%. Les vendeurs de consommables argentiques vendent cet acide sous forme concentrée à 60%, le plus souvent sous forme de bidons de 1 ou 5 litres. Ils sont respectivement vendus à environ 5€ et 20€. L'acide acétique vendu à ce prix et à cette concentration est donc peu onéreux. Même si une solution préparée de bain d'arrêt peut être réutilisée à plusieurs reprises, il reste envisageable de le jeter après chaque séance de développement. C'est alors la garantie d'avoir à chaque développement une solution neuve et donc pleinement efficace.

Si l'acide acétique est un acide faible naturellement présent dans le vinaigre blanc (à 5 ou 8%), il convient d'être vigilant durant sa manipulation tout particulièrement lorsqu'il est concentré : L'acide acétique est corrosif, ses vapeurs sont irritantes pour les yeux et les organes respiratoires. Utilisez le dans un endroit correctement ventilé. En cas de contact avec la peau, rincez vous rapidement et abondamment. En cas de contact avec les yeux, rincez immédiatement et abondamment les yeux durant 15 minutes, consultez ensuite un ophtalmologiste. L'acide acétique n'est pas cancérigène, il ne présente pas de danger pour l'environnement s'il est jeté à faible concentration. Vous pouvez donc le jeter dans les égouts après usage. Néanmoins, pour limiter les dégagements gazeux irritants et désagréables, vider progressivement votre récipient en faisant couler l'eau, tout en évitant de placer votre visage au dessus.

Une solution dédiée sans odeur

Si l'odeur de l'acide acétique vous importune, des solutions sans odeur ont été spécialement conçues pour le bain d'arrêt comme le Tetenal Indicet. Ce produit emploie de l'acide citrique bien moins odorant, de plus il incorpore un indicateur d'usure de la solution : Lorsque la solution de bain d'arrêt arrive à épuisement, celui-ci change de couleur. Ce produit est cependant un peu plus chers que l'acide acétique. Il vous en coutera 10€ le litre de solution à diluer en 1+19 pour les films (pour 1 m² de traitement).

Le fixage

Le fixateur est une solution spécifique à la photographie qu'il vous faudra acheter dans une boutique spécialisée. Là encore de nombreux produits s'offrent à vous : Fixateur liquide / en poudre, normal ou rapide, avec agent tannant ou non. Nous ne rentrerons pas dans les détails ici, pour nous contenter de vous conseiller d'utiliser un fixateur rapide sans agent tannant. Si vous pouvez vous rendre en boutique, prenez le sous forme liquide. Sinon, un révélateur en poudre à diluer soi même sera plus économique par envoie postal.

La durée du fixage dépend du type de fixateur, de sa concentration et de son état. Référez vous au mode d'emploi du produit utilisé. Notez qu'un fixage trop court peut donner des négatifs développés instables : Ceux ci se voilent alors irrémédiablement avec le temps. Cependant, si vous n'êtes pas sûr de la qualité de votre fixage, vous pouvez refixer un film développé (et le rincer de nouveau ensuite !). De même, un fixage beaucoup trop long altère les densités les plus faibles du négatif et augmente le temps de rinçage nécessaire. Il convient donc de respecter le temps de fixage. Les fabricants fournissent les informations quant aux surfaces de film qu'il est possible de fixer, pour une dilution donnée de fixateur. En cas de doute sur votre solution de fixage, vous pouvez réaliser le test de l'amorce qui vous informera du niveau d'usure de votre solution, et du temps de fixage à respecter.

Le rinçage

L'étape du rinçage nécessite beaucoup d'eau. Une eau du robinet à température 18-24°C assurera l'essentiel du rinçage. Veuillez cependant faire en sorte que la température choisie ne s'écarte pas de plus de 3°C de celles des autres bains, de manière à éviter tout choc thermique. Pour le dernier rinçage, il est préconisé d'utiliser une eau déminéralisée pour éviter qu'une eau du robinet trop calcaire laisse des traces lors du séchage du film. Cette eau se trouve dans toutes les supérettes pour la modique somme de 2€ les 5 litres.

Enfin, lors de ce même rinçage finale, il est d'usage d'ajouter une goutte d'agent mouillant. Son rôle est de diminuer la tension superficielle de l'eau, de façon à éviter la formation de gouttes sur la surface du film lorsque celui-ci sera suspendu, limitant ainsi l'apparition de traces au séchage. Avec ce surfactant, l'eau s'écoulera alors sous forme d'un mince film sans laisser de trace. Les agents mouillants sont vendus au prix de 20 € le litre par conditionnement de 0,5 litre, ou 1 litre. Ces produits sont cependant très économiques à l'usage (une goute ou deux pour chaque rinçage finale suffisent). Notez que certains photographes emploient en lieu et place de ces produits, du liquide de rinçage pour lave vaisselle. Bien que ces personnes s'en accommodent depuis souvent plusieurs années, je recommande malgré tout d'utiliser des produits dédiés au développement, dont la composition chimique est prévue à cet usage.